QUESTIONS;Comment êtes-vous arrivé·e à Derry ? Depuis combien de temps ? Il en faut beaucoup pour énerver David, encore plus pour le convaincre un jour de s'arrêter (ce type là roule(ait) comme si le passé lui courrait après sans avoir besoin de souffler). Lula et Chris qui s'engueulent par-dessus l'appuie-tête c'était courant, c'était la fois de trop visiblement. Ces deux-là c'est pas bec et ongles mais poings qui partiraient bien dans la figure et leurs prises de tête plus étouffantes que les mauvaises clopes de Jojo (peut-être parce que MJ fume aussi). Ça devait être la fois de trop alors, les mots de trop et juste pas la bonne journée du tout puisque David s'arrête, les deux voitures s'arrêtent et les mômes se dispersent sur le bas-côté soi-disant par politesse (MJ veut pas entendre, il en a plus qu'assez, c'est toujours pour rien et c'est souvent sa faute). C'était il y a six ans alors ça sert plus à rien de jeter des pierres, c'est juste un point de plus à cocher sur la liste sans fin de tout ce qui s'est pas bien passé.
Pensez-vous à partir un jour ? Essayez-vous ? Si le voyage compte et pas la destination faut bien avouer que celle-ci est particulièrement flinguée et MJ il y pense, tout le temps, essaye de se convaincre que regretter ce serait renier la famille trouvée (c'était plus facile quand il en avait encore une). MJ regrette et il y pense, tout le temps, s'il pouvait trouver un moyen, il convaincrait Chris de le suivre encore fois et s'en irait, il ramènerait Chris à ses parents, retrouverait sa vie et tout serait oublié (n'est ce pas ?).
Avez vous une hypothèse sur les créatures ? (votre personnage se pose-t-iel la question ou fait-iel avec ?)Ils ont beaucoup cherché avec Jojo, pour occuper les nuits. Un peu en riant d'abord, parce qu'ils arrivaient à y croire qu'à moitié, un peu plus sombres comme ils prenaient conscience. Pour dédramatiser ils appelaient ça la monstrologie, plus jeu vidéo que vraie vie. La meilleure conclusion qu'ils aient c'est les failles dans l'espace-temps, les réalités parallèles qui laissent tomber les déchets au fin fond du gouffre (et franchement, est-ce qu'iels auraient pas leur place là-dedans ?) après les avoir happés. Plein de calculs, de mots compliqués comme trous de verres, distorsions et boucles causales pour avoir l'air très sérieux. Ils en auraient bien fait leur boulot à temps plein d'y réfléchir mais personne les a jamais trouvés assez malins alors c'est resté qu'une blague pour occuper la nuit. Dans le fond il en sait rien, MJ, juste qu'iels en bavent et que c'est cher payé pour quelques chimères adolescentes.
À qui ressemble "votre" créature ?Chris, testé, approuvé, vérifié. MJ trop bête pour pas craquer. Maintenant il se bouche les oreilles la nuit, les écouteurs plus reliés à rien pour pas risquer d'entendre qui voudrait l'appeler parce qu'on sait jamais, ça pourrait venir des autres cette fois, et MJ il saurait laisser personne de sa bande dehors à pleurer.
Qu'est-ce qu'il vous manque le plus de votre vie d'avant ?Chris, David, Jojo, Lula et les autres. Les livres de son père, les matchs avec sa mère (bon, c'était la vie d'avant avant, mais peut-être que s'il arrivait à rentrer ça aussi on les lui rendrait. Il aime bien les illusions MJ, c'est comme les belles histoires mais dans la tête, ou parfois dans son carnet).
CARACTÈRE;— détaché (vraiment ?) — tire la gueule (vraiment) — tire-au-flanc (aussi) — (trop) sensible — perdu — obstiné — rêveur — capricieux — volatile — fonceur — inconscient —
perdu — aventurier — émotif — romanesque, et romantique aussi — artiste (dans tous les sens du terme) —
perdu — emporté — martyr (selon lui) — bruyant — altruiste (d'après lui aussi) — sportif — engagé — révolté (contre quoi cette fois ?)
FAITS DIVERS;UN — Tellement facile, tellement banal. Il y a MJ, d'abord, une petite sœur et deux parents. Papa travaille beaucoup, maman un tout petit peu moins (autant, en fait, mais elle fait mine de rien pour ne froisser personne) (il est strict et elle est humble), un berger australien adopté pour faire passer la pilule du déménagement. La banlieue de Philadelphie laisse place à celle d'Eugene (Oregon) mais ce sont les mêmes maisons, les mêmes familles aux mêmes sourires et le même ennui qui fleurit dans les jardins sans clôtures. Sur l'impulsion de son père professeur à l'université MJ s'intéresse à la littérature, au sport pour plaire à sa mère. Hot dogs et sodas dans les gradins à chaque match des Ems, parfait.es petit.es américain.es, même sous la pluie, même quand il n'y a que la baby sitter de la petite pour les attendre à la maison. Ça fait de jolis portraits et ça casse les clichés.
DEUX — MJ reconnaît mieux la plume de son père que le son de sa voix, glisse des lettres sous la porte de son bureau quand il a un exploit à lui raconter (des tas, études rigoureuses, remarquable joueur de baseball, champ centre dans son équipe). Par jeu il l'appelle monsieur, police ses missives avec tout le soin d'un étudiant (peut-être que comme ça il répondra).
TROIS — Il n'y a plus que MJ sous la pluie, maman dit toujours qu'elle le rejoindra, le bureau la retient toujours et MJ rentre à pieds dans la nuit, tend le deuxième sandwich au vieil homme avec ses trois chiens et ses sacs cabas qui traîne près du stade et ne manque jamais de lui offrir un sourire. D'autres s'entassent sur les murs de la maison, sourires figés sur le carton chassés des joues dès que le clic a retenti. La maison vide est trop petite, les cloisons friables et sa sœur pourrait l'entendre pleurer alors MJ préfère s'en aller. Toute l'après-midi, toute la soirée, personne pour le lui faire remarquer (tant qu'il y a des bulletins à encadrer) (c'est plus facile de se faire oublier que d'exister).
QUATRE — Les lettres ont perdu les rondeurs naïves de l'enfance, les Ems ont gagné et puis perdu dans l'indifférence (MJ aussi). Il pleut toujours sur le terrain, aucun des visages brouillés dans les gradins n'appartient à sa famille quand il court (quand il tombe, de plus en plus. MJ est fatigué de courir après les balles et les autres). Le tableau d'honneur est recouvert par les blâmes du directeur, les photos de graffitis au feutre rouge. Les livres sont déchirés une fois dévorés. Les mots se mélangent, ceux qu'on crie quand on pense à se retrouver pour dîner, ceux qu'il griffonne dans son carnet de poésie, ceux qu'il a lus et disséqués. L'hiver a emporté le vieil homme du stade et MJ a beau savoir que partout on vit pire que lui c'est jamais assez. Assez pour l'apaiser, assez pour qu'il se calme et respire un grand coup et apprenne à se satisfaire de ce qu'on lui donne. Gosse ingrat, qu'on lui dit, jamais content, la vie c'est pas dans les romans (pourtant son père a le droit d'y rester). Plus il casse et plus il a envie de casser, plus il pleure et plus il a envie de hurler. La maison vide est trop petite alors il s'attaque au quartier.
CINQ — Les murs du commissariat sont peints des mêmes couleurs que la pluie alors quand Chris entre c'est comme une éclaircie.
MJ rencontre Chris, comme dans un livre, et enfin c'est le soleil qui paraît. Au concours des déceptions les deux sont gagnant.es (parents absents contre étouffants, amère égalité). Chris est venu.e rejoindre son père officier et lui attend le sien alors iels n'échangent qu'une œillade mais pour lui ça suffit, et bientôt c'est sous sa porte que les lettres sont glissées. A chaque fois que ses parents lea défendent de le voir Chris aime un peu plus MJ, à chaque poème déclamé à l'aérosol sur une façade impeccable aussi. Ensemble iels recouvrent, un peu, le gris orage de leurs existences trop étroites.
SIX — Chris et MJ postulent aux mêmes universités, jurent que rien n'ira jamais les séparer. Et la vie sourit à leur tragédie, finalement, on les verra partir tout.es les deux, sans d'autres prétentions que d'être ensemble, d'être ailleurs, de vivre selon leurs règles et jamais plus dans le silence. Le père de Chris n'est pas de cet avis et ce sera l'un ou l'autre, ce sera les rêves griffonnés sur son carnet ou la certitude d'un avenir. Ce sera son poète enflammé ou la stabilité. Chris préfère MJ, la fièvre adolescente qu'iels viendront à regretter. Le départ est sonné la nuit de l'ultimatum. Une vieille tente, quelques livres, des vêtements et un peu d'herbe, le liquide trouvé dans les poches des parents et assez de stylos pour recouvrir des maisons entières, MJ ne pleure qu'en laissant derrière lui le berger australien qui vieillit. Iels partent pour quelques jours, quelques semaines peut-être, le temps d'assez leur manquer, assez les inquiéter. Tant pis pour les diplômes, tant pis pour l'université, leur caprice sera inoffensif quand au retour on leur ouvrira enfin les bras tant espérés.
SEPT — La route aurait été catastrophe sans David et les autres. Les deux types à l'avant du bus les auraient inquiété.es sans les deux gamins à leurs côtés mais il y a quelque chose de si
vrai dans le désespoir de leurs sourires que ni Chris ni MJ n'a le cœur à décliner quand la troupe s'arrête pour elleux. Les semaines s'étirent, deviennent des mois. Les adultes offrent cette attention pleine et sincère qui leur manquait, surtout David qui paraît plus qu'un seul homme à se souvenir de tout, de tout le monde, de qui rêve quoi et quelle flamme les animera. Il trouve d'autres livres pour MJ, plus concrets, donne un drapeau et des noms à la rage qui le bouffe. Lulu est la douceur qui manquait à ses mots et MJ lui en souffle quand le gosse a perdu les siens, chez Jojo il découvre un malheur mille fois plus légitime que ses risibles misères. Lula les rejoint avec sa colère et un jour les deux sèment le groupe qu'iels appellent famille. Dans une boutique MJ vole deux bracelets pour Lula et lui et c'est annoncé,
MJ aime Lula. Pas comme il aime Chris, jamais, cet amour là est fraternel mais il cause autant de dégâts. A Chris les fleurs et les excuses quand le duo s'est encore échappé pour ravager des vitrines et descendre des bières, avec Lula l'incendie (venin dans leur couple pourtant le prénom de sa moitié est encré, dans son cœur et dans sa peau d'une aiguille stérilisée au briquet). C'est un peu pour lui qu'il est révolté, surtout pour les Jojo, les Lulu et le vieil homme du stade, contre la société qui les broie et en recrache comme leurs parents. Daisy qui devait être une destination les rejoint et il n'est plus question de rentrer, pas maintenant, le monde est vaste et l'Oregon noir et blanc.
HUIT — C'est la faute de Lula, c'est la faute de Chris, c'est la faute de David et finalement celle de MJ. C'est toujours, toujours sa faute, ça l'était quand ses parents s'engueulaient après un appel du lycée ou du commissariat, ça l'est quand iels s'enferment dans leur petite chambre (trop, trop étroite) et que Chris lui rappelle que s'il avait pas proposé de partir, s'il avait pas voulu continuer à rouler et rouler et rouler personne se retrouverait coincé en plein film d'horreur. Y'a vraiment que David et l'amour (dysfonctionnel mais sincère) partagé pour maintenir la bande à flots dans cette nouvelle fuite qu'iels ne peuvent plus quitter. Alors on fait de son mieux (c'est peu). MJ apprend à chasser puisqu'il est trop agité pour regarder les plantes pousser, trop romanesque pour s'enfermer dans un atelier. On fait de son mieux mais c'est rarement assez, plus toléré.es qu'apprécié.es. Toujours en marge, sur l'autre rive, après trop de temps dans leur propre société. Pour Chris et MJ c'est l'acte de trop, c'est la suite que personne ne voulait lire, le venin s'enflamme et Chris n'en peut plus, n'était pas fait.e pour cette vie, promis.e à plus finalement qu'un conteur vagabond et la troupe du cirque de peter pan. MJ pleure et s'excuse (pour rien, pour tout) mais ça non plus ça ne suffit pas, Chris part chercher mieux ailleurs et bien sûr qu'iel trouvera.
NEUF — MJ rejoint Jojo sur le banc des esseulés, des cœurs malmenés, des corps tout juste animés. Ils s'inventent des jeux et des théories folles pour se forcer à rire quand ils ont les yeux trop secs pour pleurer, parce qu'il y a les autres à pas laisser tomber. MJ déchire ses poèmes, on ne parle plus de Chris qu'en vipères mais c'est part du deuil paraît-il (il y a des jours où ça fait tellement mal de l'apercevoir dans Derry
trop grise, trop petite, trop étroite qu'il voudrait juste qu'iel soit plus là). Et puis un soir sa voix derrière la porte, le soleil est couché qu'est-ce qu'iel fait encore dehors ? Il sait MJ, comme tout le monde ici qu'il faut pas ouvrir, que c'est pas vrai mais c'est Chris et c'est MJ et peut-être que leur histoire est pas encore finie. On lui a dit que Daisy était passée mais c'est resté flou (son visage l'est toujours, la parenté trop évidente dans ses traits), MJ a déjà la main sur la poignée quand David déboule en courant. Il n'entend pas, il a oublié ses derniers mots et c'est peut-être le pire, pire encore que David qui sort à sa place quand le gamin ouvre la porte qui aurait dû rester scellée. David résigné, qui savait sans doute que quoi qu'il arrive quelqu'un sortirait ou alors quelque chose entrerait, qui n'est pas arrivé assez tôt pour l'en empêcher. Derrière ça n'a rien de Chris ce qui supplie, elle est fausse la voix terrifiée, MJ n'a pas besoin de voir qu'il a compris. Il racontera que David a refermé, tout son poids sur le battant pour les protéger puisque c'était trop tard pour lui mais la vérité c'est qu'il ne sait pas, il n'est pas sûr, plus sûr de rien, peut-être que dans la panique qui l'empêchait de voir et de penser c'est lui qui l'a fait. Il quitte pas l'entrée jusqu'à ce qu'on vienne l'y arracher.
DIX — MJ a plus qu'envie de fuir, le réflexe de courir bien intégré et ça tombe bien c'est ce que les autres ont exigé. Il pose son sac dans une autre maison, cherche que faire du reste de sa carcasse. Il les ignore, montre que son dos ou parfois son majeur quand iels se croisent, se dit que c'est juste naturel de se cacher pour pleurer. Se complait dans son rôle martyr et ennemi tout à la fois, puisqu'il faut bien une bannière pour rester soudé.es (ça n'a pas trop de sens de brûler celle du capital à Derry). C'est pas ce qu'aurait voulu David, mais après tout sans doute qu'il ne voulait pas vraiment se faire dévorer non plus. MJ lui y pense souvent quand il se tasse dans un abri, s'enfonce dans les oreilles les écouteurs qui ne sont plus reliés à rien (le mp3 confié par le mentor avec ses complaintes déchirantes et démodées pour accompagner ses peines est aussi mort que son ancien propriétaire) juste pour assourdir les sons de la nuit. Quand il cherche et qu'il se perd, avec pour seul espoir de rendre un jour sa vie à Chris, pour pas croiser les yeux tristes des deux frangins, et la silhouette de Lula qui manque d'une plus large à ses côtés.